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BREVE ANALYSE DE LA REUNION

La première réunion du Groupe de Travail Spécial sur la Biodiversité (GTBS-1) marque le début du processus d'élaboration d'un protocole dans le cadre de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) et la mise en opération de l'une de ses composantes les plus importantes et les plus polémiques. Le GTBS-1 entreprit à Aarhus, un démarrage plutôt prudent. Improductive en termes de documentation écrite, la réunion a tout de même révélé plusieurs dichotomies intéressantes, notamment des perspectives fortement divergentes sur la biotechnologie, ainsi qu'une fracture dans le bloc des G-77/CHINE concernant les éléments à inclure dans le protocole. La réunion a fermement établi la CDB dans la liste des traités environnementaux chevauchant les règnes de l'environnement et du commerce. Elle a aussi marqué un précédent en matière de transparence grâce à l'accueil des ONG dans les délibérations. Enfin, la réunion a permis de mettre en exergue la question de responsabilité que certains qualifient comme étant le noeud crucial de la question biosécurité.

PRE-NEGOCIATION ET DEMARRAGE PRECAUTIONNEUX: Dans une réflexion sur son expérience à la présidence de plusieurs négociations liées à la CDB, le Président du GTBS-1, Veit KOESTER (Danemark), déclara dans ses remarques introductives que "la réunion qui commence un processus est aussi importante que celle qui le complète". Sachant que les compromis dépendront plus tard des positions développées au cours de la première étape de l'élaboration du protocole de la biosécurité, le Président a appliqué une certaine flexibilité dans le traitement des points de vue. Il est certain que la phase de pré-négociation consiste principalement à d'abord identifier et à définir les problèmes et ensuite à formuler les positions. On peut dire que la détermination des problèmes avait déjà eu lieu au sein de la CDB elle-même, puisque l'Article 19.3 appelle spécifiquement à un protocole sur la biosécurité, et qu'ainsi le GTBS-1 a surtout servi de forum pour l'articulation des positions des différents pays et des différents blocs.

Lors de ce GTBS-1, les gouvernements ont pu identifier toute une gamme de questions susceptibles d'être traitées par le futur protocole de biodiversité. Le caractère "shopping list" du Papier de Travail sur la structure du futur protocole n'a pas englobé les compromis caractéristiques des processus de marchandage et reflète tout simplement l'ensemble des points de vue exprimés.

Les appels fréquents du Président à des contributions sur les sujets de fond, ne trouvaient souvent pas d'écho. Bon nombre de délégués devaient admettre en privé qu'ils étaient venus à Aarhus surtout pour en savoir davantage sur le sujet et qu'ils n'étaient pas encore préparés à avancer une quelconque position officielle. En effet, plusieurs délégations n'avaient pas de mandat de négociation. Il semble aussi que la plupart des blocs régionaux et politiques ont besoin de délais supplémentaires pour la coordination, à juger du nombre des réunions qu'ils ont effectué tout au long de la Conférence.

Quand vint le moment pour les délégués de mettre les choses par écrit, le Groupe de Contact chargé de combiner les propositions concernant la structure du protocole, passa toute une après-midi et une bonne partie de la soirée à juxtaposer les mots pour produire un papier de travail non négocié. Le papier de travail se résume à trois brèves sections articulées autour de: dix éléments identifiés comme étant présents dans toutes les propositions, 38 éléments identifiés comme figurant dans certaines propositions mais pas d'autres, et 28 termes proposés à une définition. Il est clair que les gouvernements ne sont pas disposés à faire preuve de désinvolture sur la question, pas même au niveau de ces démarches préliminaires.

FRACTURE DANS LE BLOC: Si le rythme quelque peu pesant des pré- négociations était prévisible, mais la division constatée dans la position du G-77/Chine fut plutôt une surprise à Aarhus. En tant que moteur du développement économique, la biotechnologie reste particulièrement attractive pour certains pays. Elle est par contre perçue comme une menace par bon nombre d'autres pays ne disposant pas de capacités techniques permettant son utilisation. On savait que la biotechnologie n'est pas un sujet d'unité pour les pays en développement, mais ce qui est intriguant dans le résultat du GTBS-1, c'est comment certaines délégations ont pu laisser ces divergences fracturer le bloc dès la phase préliminaire de ce Groupe de Travail. La question de biosécurité porte elle un potentiel d'aggravation de la division entre les pays en développement à revenus moyens (principalement d'Amérique Latine) et les pays les moins avancés (principalement d'Afrique). Dans ce sens, elle est un exemple de plus de la dissolution graduelle du G-77 en tant que coalition monolithique formée de plus de 130 pays de conditions économiques vastement différentes. Avec le GRULAC, désormais ouvertement en désaccord avec le reste du G-77 sur la nécessité d'intégrer les considérations socio-économiques et les éléments de responsabilité et de compensation dans le protocole, la question qui trottait dans l'esprit de certains, s'apprêtant à quitter Aarhus, est celle de savoir comment cela allait affecter la dynamique des futures réunions de la CDB.

PROMESSES, CRAINTES ET CONSIDERATIONS SOCIO- ECONOMIQUES: Une autre dichotomie frappante (en réalité une "trichotomie") constatée à Aarhus, est la manière dont la technologie était perçue par les délégués et autres observateurs. Plusieurs participants ont retracé les avantages de la biotechnologie dans des domaines tels que ceux de la médecine, des processus industriels bénins pour l'environnement et de l'agriculture. Mais la perception de la biotechnologie comme impliquant des expériences incontrôlables sur des OVM dangereux; reste très forte dans la psyché publique. Cette circonspection s'est clairement manifestée dans les commentaires d'ouverture sur la définition des Organismes Vivants Modifiés (OVM). Un délégué Africain représentant un pays ne possédant pas d'industrie biotechnologique, mit en garde contre la biotechnologie moderne, capable à son sens, de ressusciter des bactéries éteintes depuis des millions d'années. Ceci amena un biologiste moléculaire d'Amérique Latine à intervenir pour rétablir les réalité des choses en rappelant aux délégués que de telles prouesses ne sont réalisables que dans les films d'Hollywood. A l'écoute des interventions sur les OVM et sur les conditions de sécurité de leur manipulation, transfert, utilisation et décharge, on ne savait plus très bien si les délégués et les observateurs étaient venus pour réguler une activité déjà assez féconde et complexe ou pour transformer la réunion en un référendum sur la biotechnologie. Les délégations Africaines en particulier ont sans cesse souligné les dangers de la biotechnologie. Et on a vu au dernier jour de la réunion, une coalition de 8 ONG environnementales, dont Greenpeace International, appeler à un moratoire sur la mise en circulation et la commercialisation de tous les organismes et produits génétiquement modifiés, en attendant la mise en place d'un protocole sur la biosécurité.

Réagissant à cet état de fait, un délégué de l'UE déclara en privé que l'appel à un moratoire était un peu trop fort en faisant remarquer que si un tel moratoire avait été décidé il y a treize ans, au moment où les scientifiques découvraient pour la première fois le Virus d'immunodéficience humaine, on ne disposerait pas aujourd'hui de cette gamme de pluri-thérapies qui vient d'être approuvée pour le traitement du Syndrome d'Immunodéficience Acquise (SIDA). Ces nouveaux traitements que certains qualifient de remède contre le SIDA, n'auraient pas été possibles sans la production commerciale des OVM et de leurs produits vendus en tant qu'outils de recherche à la biotechnologie.

Entre les pour et les contre, quelques délégués apportèrent une troisième perception concernant cette nouvelle technologie, s'inquiétant de ses effets socio-économiques de la substitution agricole. C'est peut être là le sujet le plus épineux d'entre tous. Les nouveaux produits alimentaires développés par la biotechnologie, risquent de bouleverser des millions d'emplois agricoles dans les pays en développement dont l'économie dépend principalement de l'exportation de biens de consommation. Plusieurs gouvernements du Nord exprimèrent dans leurs prises de position, que les considérations socio-économiques sont des sujets de préoccupation nationale qui ne doivent pas entrer dans le protocole sur la biodiversité. Il n'existe pas de réponse simple à ce problème qui présente de grands risques de dislocation pour l'économie mondiale, même si la CDB prévoit la dimension d'équité dans ses décisions concernant l'utilisation des ressources (Article 1 de la CDB).

COMMERCE, ENVIRONNEMENT ET RESPONSABILITE: La première réunion du Groupe de Travail marque un tournant dans l'équilibre des groupes de pression participant à la CDB et à ses organes subsidiaires. La réunion a vu un large contingent d'organisations industrielles défendre au cours des délibérations, les grands intérêts qui sont les leurs. Comme constaté lors des réunions de la Convention-Cadre sur les Changements Climatiques, l'équilibre des représentations a semblé plus ou moins également réparti entre l'industrie et l'environnement. Ainsi la CDB est désormais fermement établie dans la liste des traités faisant un lien entre le commerce et l'environnement.

Le sujet le plus inquiétant sans doute pour l'industrie est celui de l'inclusion des clauses de responsabilité dans le protocole, favorisé par la plupart des pays en développement (et la Norvège) et refuté par quelques pays en développement et par la plupart des pays industrialisés. Bien que le terme "responsabilité" soit encore ouvert à l'interprétation, de nombreux délégués et observateurs en sont à s'interroger ouvertement si cette opposition à l'insertion de la responsabilité dans le protocole, ne signifiait pas quelques part que les gouvernements ne sont pas disposés à tenir leurs industries pour responsables des échecs éventuels de leurs tests en matière d'OVM, en particulier dans les produits destinés à la grande distribution. Plusieurs observateurs sont sceptiques quant à l'efficacité d'un protocole de biosécurité dépourvu de mesures d'encouragement au respect de la conformité, basé sur la responsabilité des produits.

PARTICIPATION PUBLIQUE: Les ONG n'ont pas manqué d'exprimer leur satisfaction d'avoir été autorisées à faire des interventions en Plénière. Cela a fait contraste avec les délibérations fermées du Groupe de Contact sur la Biosécurité, réuni lors de la CdP-2, qui avait exclu tous les observateurs de ses longues séances nocturnes de négociation sur le mandat biosécuritaire. On sait que la préoccupation des ONG porte sur la transparence et la participation publique. Un précédent est désormais établi par le GTSB-1, reste à voir maintenant si cette ouverture pourra s'étendre aux futures sessions, quand les délégués ne mettront plus de gants pour s'attaquer à la négociation du protocole.

CONCLUSION: La négociation du protocole mondial sur la biosécurité s'annonce lente et ardue. Certains délégués n'ont pas manqué de rappeler le dur labeur du Groupe de Contact sur le Protocole de Biosécurité durant de la CdP-2, les blocs en présence passant des heures discutaillant sur l'emplacement des virgules dans le texte. Pour ne pas tomber dans le même travers, le Groupe de Travail a pris la décision de ne pas discuter de ses résultats lors de la prochaine réunion de la Conférence des Parties, pour éviter toute velléité de marche arrière dont on se passerait bien. Après près de dix ans maintenant, la communauté internationale aura fait tout un détour pour retourner à la biosécurité. L'appel lancé aux gouvernements en 1988 pour la négociation d'un protocole mondial, c'est à dire depuis début des négociations qui ont abouti finalement à l'élaboration de la Convention sur la Diversité Biologique, est enfin entendu.

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