La gestion durable des forêts est devenue un dossier prioritaire sur la scène internationale. L'utilité de critères internationalement acceptés pour définir le développement durable en foresterie a été reconnue dans la Déclaration de principes sur les forêts et le chapitre 11 d'Action 21 négociés à Rio. Avant et depuis la CNUED, un certain nombre d'initiatives ont été prises afin d'établir des critères, des lignes directrices et des indicateurs pour le développement forestier durable dans les zones tropicales, boréales et tempérées. L'analyse de ces initiatives indique certains points d'entente. Le présent document expose le contexte et les grandes lignes des initiatives et des idées existantes sur les critères et les indicateurs de gestion durable des forêts en vue de faciliter les délibérations internationales sur cette question cruciale.
Les forêts sont les ressources naturelles les plus abondantes et les plus variées. Elles présentent un vaste éventail d'avantages économiques, environnementaux, sociaux et culturels. Tout en constituant un important facteur de développement économique dans bien des pays industrialisés et en développement, elles répondent à toute une gamme de besoins humains fondamentaux en fournissant, par exemple, du combustible, de la nourriture, des fibres, des matériaux de construction et des plantes médicinales. Elles jouent un rôle important sur le plan social, en permettant des activités sportives et récréatives, et aussi sur les plans esthétique, culturel et spirituel. En outre, elles sont le lieu de résidence de nombreux Autochtones. Écologiquement, elles sont essentielles à divers égards : conservation du sol et de l'eau, habitats fauniques, cycles de l'eau, de l'oxygène et du carbone et maintien de la diversité biologique aux niveaux local, national, régional et mondial. Enfin, les forêts constituent une source renouvelable d'un vaste éventail de produits biodégradables et acceptables pour l'environnement.
En 1980, la superficie totale des forêts du globe atteignait près de 3,6 milliards d'hectares, sans compter 1,7 milliard d'hectares de terres boisées non classées parmi les forêts. Les forêts et les terres boisées couvraient donc environ 40 % de la surface de la partie solide du globe. Toutefois, dans de nombreuses régions, la forêt naturelle a été pratiquement anéantie, et la qualité de la forêt continue de diminuer beaucoup plus rapidement que ces statistiques mondiales l'indiquent. Au Sommet de la Terre, à Rio, il a été reconnu que la conservation, la gestion et le développement durable des forêts du monde entier en vue de satisfaire aux besoins des générations actuelles et futures constituaient un important défi pour la communauté mondiale.
Depuis toujours, la communauté forestière mondiale a considéré les forêts principalement comme une source de bois industriel et les a gérées en fonction d'une production soutenue. Toutefois, il est généralement reconnu, à l'heure actuelle, que les forêts doivent être conservées et gérées pour leurs valeurs multiples et qu'une approche axée sur l'écosystème et non plus sur la seule production soutenue est requise pour leur gestion.
Les discussions internationales sur la gestion durable des forêts donnent lieu à un vaste éventail d'interprétations et d'approches comportant des considérations environnementales, sociales, économiques, culturelles, institutionnelles et politiques. Une démarche holistique est requise pour la définition de critères et d'indicateurs qui caractérisent la gestion durable des forêts et sont utiles sur le plan politique. L'établissement de critères et d'indicateurs fondés scientifiquement en vue du développement durable serait utile aux fins suivantes :
Le besoin de caractériser le développement forestier durable a été nettement reconnu au cours des récentes délibérations internationales sur les forêts. Dans la Déclaration de principes, non juridiquement contraignants mais faisant autorité, pour un consensus mondial sur la gestion, la conservation et l'exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts, il est mentionné que :
8d) «la gestion et l'exploitation écologiquement viables des forêts devraient être réalisées conformément aux politiques et priorités nationales en matière de développement et selon des directives nationales respectueuses de l'environnement. Dans la formulation de ces directives, il convient de prendre en considération, le cas échéant et selon que de besoin, les méthodes et critères pertinents internationalement acceptés».
Au chapitre 11 d'Action 21, sous le domaine d'activité C («Promotion d'une utilisation et d'une évaluation efficaces visant à recouvrer la valeur intégrale des biens et services dus aux arbres, forêts et terres boisées»), il est prévu que les gouvernements nationaux, agissant de concert avec les groupes d'intérêts spéciaux et les organisations internationales compétentes, devraient :
11.22b) «Formuler des critères de valeur scientifique éprouvée, ainsi que des directives concernant la gestion, la conservation et le développement durable de tous les types de forêts».
Les concepts et les définitions ayant trait au développement forestier durable évoluent très rapidement depuis trois ans. Afin de faciliter les discussions internationales sur la gestion durable des forêts, d'importants efforts ont été déployés pour définir ce terme. Le travail le plus poussé à cet égard a été réalisé par l'Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT) qui a publié des critères pour la gestion durable des forêts tropicales (ITTO, 1992). L'OIBT a également donné son appui à l'objectif de l'an 2000 pour la réalisation de progrès touchant le commerce de produits de bois tropicaux provenant de forêts développées de façon durable. D'autres efforts ont été menés, notamment à la Conférence ministérielle pour la protection des forêts en Europe (Helsinki, 1993), au Colloque sur le développement durable de la forêt boréale et de la forêt tempérée (Montréal, 1993) sous l'égide de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), ainsi que par la FAO (1993), le Forest Stewardship Council (1993) et la Table ronde paneuropéenne sur le développement forestier durable (Bruxelles et Genève, 1994). En juillet 1994, les participants à une réunion parrainée par l'Inde et le Royaume-Uni ont adopté une résolution recommandant que le travail sur les critères et les indicateurs soit poursuivi avec une participation active de la FAO et de l'OIBT. Enfin, un groupe de travail sur les critères et les indicateurs de gestion durable applicables aux forêts boréales et tempérées non européennes a tenu trois réunions et produit un document de travail (Olympia, 1994).
À la lumière de ces discussions, les définitions de travail suivantes peuvent être données pour certains termes clés :
critère : Catégorie de conditions ou de processus à considérer dans l'évaluation de la gestion durable des forêts. Un critère se caractérise par une série d'indicateurs qui sont surveillés afin de mettre en évidence des changements. (Olympia, 1994)
indicateur : Mesure d'un aspect d'un critère. Variable quantitative ou qualitative qui peut être mesurée ou décrite et qui, observée périodiquement, peut indiquer des tendances. (Olympia, 1994)
surveillance (monitoring) : La mesure et la détermination périodiques et systématiques du changement d'un indicateur. (Olympia, 1994)
Il est généralement reconnu que la conservation et le développement durable des forêts comportent la préservation des valeurs environnementales ou écologiques et des avantages sociaux et économiques qui s'y rattachent.
La question de l'échelle mérite d'être considérée. Les forêts et les systèmes socio-économiques qui en sont tributaires ont tendance à être organisés hiérarchiquement. Les terres forestières, par exemple, peuvent être traitées à l'échelle du peuplement ou de l'écosystème, du paysage ou du bassin versant, du biome ou de l'écorégion et à l'échelle mondiale. Il existe de grandes différences entre les pays concernant la superficie du couvert forestier, les conditions socio-économiques et l'organisation politique; dans les délibérations, il y a donc lieu de tenir compte de la diversité des échelles. Au niveau des pays, l'échelle pourra être le biome dans le cas du Canada ou de la Russie, ou le paysage ou le bassin versant dans le cas de la Belgique ou du Brunei.
Dans le tableau qui suit sont comparés les cadres d'activités internationales entreprises sur les critères et les indicateurs.
Tableau 1. Comparaison de cadres d'activités sur les critères OIBT Processus d'Helsinki Processus de Montréal Le capital des ressources forestières Maintien/conservation/
accroissement de la biodiversité Conservation de la diversité biologique Le contrôle de l'environnement Maintien de la santé et de la vitalité des écosystèmes forestiers Maintien de la santé et de la vitalité des écosystèmes forestiers Maintien/amélioration des fonctions productives (sol/eau) Conservation du sol et de l'eau Maintien/amélioration des cycles du carbone de la planète Maintien de la contribution aux cycles du carbone de la planète La continuité des flux Maintien/encouragement des fonctions productives Maintien de la capacité productive Effets socio-économiques Maintien d'autres fonctions et conditions socio-économiques Production à long terme d'avantages socio-économiques Cadres institutionnels Cadre juridique, politique et institutionnel
La définition et la caractérisation du développement forestier durable sont des tâches ardues tant du point de vue scientifique que sous le rapport des politiques nationales et internationales. En ce qui concerne les politiques nationales, le commerce international et la coopération internationale, il serait utile de s'attaquer à ce défi aux niveaux national et international. Cependant, le progrès doit être fait étape par étape : les pays doivent d'abord, dans le contexte de leurs propres politiques et possibilités, s'efforcer de définir le concept de gestion durable des forêts, puis harmoniser leurs approches au niveau régional.
Des progrès considérables ont été accomplis dans le cadre d'initiatives régionales, comme l'OIBT, le colloque du CSCE à Montréal, le processus d'Helsinki et la réunion d'Olympia (Washington) sur les critères et les indicateurs. La résolution adoptée à la réunion parrainée par l'Inde et le Royaume-Uni, qui a recommandé la poursuite de travaux et une participation active de la FAO et de l'OIBT, ouvre la voie à des efforts d'harmonisation de processus régionaux sur les critères et les indicateurs. Cette résolution pourrait être renforcée avec l'appui des pays participant au Groupe de travail intergouvernemental sur les forêts. Étant donné les rapports maintenus jusqu'ici entre les processus régionaux et étant donné également la compatibilité des résultats de ces processus, il y aurait sans doute lieu d'entreprendre l'élaboration d'un cadre principal pour les critères et les indicateurs applicables aux forêts tropicales, tempérées et boréales.
Toute discussion internationale sur les critères et les indicateurs doit comporter un engagement à la coopération technique pour la mesure de ceux-ci. Sans spécification et engagement de ressources pour un système de surveillance, les discussions sur les critères et les indicateurs ne permettront qu'une clarification de la terminologie.
Anon. 1992. Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement.
Déclaration de principes sur les forêts.
Anon. 1992. Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement. Action
21, Chapitre 11.
Anon. 1993. Conférence ministérielle sur la protection des forêts in Europe, 1-17 juin 1993 à
Helsinki. Compte rendu de la Conférence.
Anon. 1994. Discussion Draft. Sept. 9, 1994. Criteria and Indicators for the conservation
and sustainable management of temperate and boreal forests. Olympia, Washington.
Anon. 1994. Resolution, Workshop Towards Sustainable Forestry: Preparing for Commission
on Sustainable Development 1995. New Delhi, India, July 25-27, 1994.
Service canadien des forêts. 1993. Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, Colloque du développement durable de la forêt boréale et de la forêt tempérée. Montréal, Canada.
International Tropical Timber Organization. 1992. Criteria for the measurement of sustainable tropical forest management. Yokohama, Japan.